Un simple coup de vent, mon journal s'envole, je me lève surpris par ce geste invisible. Un besoin, su signe, je ne sais, je me dirige vers ce rendez-vous, traversant ce joli jardin blotti à l'intérieur de la ville. Mon regard s'échappe, mes pensées sont assez lourdes pour m'autoriser un peu de bonheur esthétique. Les arbres, les crocus de printemps, quelques primevères, le vert du renouveau, la fraîcheur de la la nouvelle saison, je flâne un peu.
Puis il y a eu cette magie, cette main qui a frôlé la mienne, involontairement, dans cette allée si large, presque vide. Je suis retourné, elle a souri, une fée peut-être, d'où sortait-elle ? Elle marchait élégamment avec une allure droite et souple, une robe gris foncé, la taille marquée, les années 50.
Soudain voyae dans le passé lointain, le passé proche aussi, elle, celle qui m'a croisé dans les mois précédents, plusieurs fois sans jamais donner son adresse. Une rencontre, un coup de foudre, une première soirée folle de regards, de bonnes phrases, de révélation, je lui aurai tout donné, j'ai reçu une bise en ponctuation, elle avait disparu.
Et puis pour une soirée privée, une inauguration d'exposition, elle était là, le destin, seule, avec une flûte de champagne, la tête vers une sculpture d'homme nu. Sa main caressait le dos, les muscles, leur force, leur faiblesse en bas du dos, les fesses. Son sourire était le même, prise sur le fait, la main encore sur les arrondis arrières. Nous avons ri, parlé encore, pris le temps de boire, de manger, de croiser du monde sans nous intéressez à eux, de parler encore. Derrière d'autres bronzes, elle est parti, sans prévenir. J'aurai dû me méfier, elle venait de m'embrasser encore.
Un soir, la pluie, une humidité impossible, la routine du métro-boulot-dodo, un livre dans ma poche, j'avais pris une pause sur mon chemin. Je regardais les passantes, les styles des unes, les improbables essais de mode des autres, le croisement réussi ou non entre le masculin et le féminin. Deux talons m'ont surpris alors que mon regard tombait sur le macadam, ils sont étrangement rapprochés de la vitre, vers moi, des bras avec. Un visage. Elle.
Nous avons partagé un chocolat viennois, du plaisir, deux cuillères, de la crème chantilly, du sucré, du chocolat, du bonheur. Elle était là de nouveau, ma fée. Etrangement, je ne savais rien de sa vie réelle, de son métier ou si peu, de sa vie amoureuse, de son lieu de vie, je connaissais sa beauté naturelle, son élégance très féminine, sa bouche rouge, ses paroles et ses yeux. Je la dévorais sur le vif, en temps réel, et je m'évitais la souffrance de ne pas savoir, de ne pas la voir. J'aurai tant aimé l'avoir.
Elle pétillait, me donnait des réponses à des interrogations, mais ma discrétion, mon ébouissement m'empêchait de la dévoiler. Ma timidité revenait avec elle, et pourtant j'aurai voulu être capitaine d'un vaisseau pour l'emmener au bout du monde, sur le chemin de mes sentiments si forts. Oui je ressentais de l'amour mais en silence. Sa joie attirait les regards, sa beauté aussi. Nous avons parlé, grignoté, mangé là en attendant que la pluie ne s'arrête jamais. Etre là avec elle, toujours, ma main sur la sienne, ou peut-être l'inverse. Un temps sans limite, nous avons tant échangé, j'étais dans le trouble où le temps devient flou, les dimensions avec. Je ne voyais plus que son chemisier plumetis, son manteau sur le dos du siège à côté, ses mains fines, ses lèvres rouges.
Il faisait nuit, elle s'est levé, reprenant son sac à main. Nous étions sur le trottoir humide, le silence extérieur annonçait la présence de la lune, le sommeil des voitures et de leurs conducteurs, les volets clos. Mais il n'y avait qu'elle. Nos deux mains, un lien, je ne voulais plus la perdre. Au moins avoir un numéro, un email pour la joindre, la revoir, ne jamais la quitter.
Derrière ce mur, sans savoir, je l'ai embrassé. Serrée fort dans mes bras, jamais lâchée, plus jamais.
Nylonement
commenter cet article …